LEON MICHEL

Léon Michel : du Maquis à la Gestapo

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Léon Michel : agent de la Gestapo à Gap

Voici le parcours étonnant d’un homme qui, pendant la guerre de 39-45, est passé de la Résistance à la Gestapo, suite à son arrestation par les allemands. S’il n’avait pas été arrêté et emprisonné le 23 novembre 1943,  Léon Michel aurait pu être considéré au moment de la libération comme un grand Résistant.  Manque de chance pour lui, les  allemands l’ont attrapé et devant l’effroi de la torture ou de la déportation (qui pourrait le lui reprocher ?) a accepté de changer de bord et de devenir  agent de la Gestapo. A la libération il sera exécuté par les français (le 7 juin 1945).

Quelques témoignages tentent d’amoindrir sa responsabilité.

« S’il est devenu agent de la Gestapo, dit un camarade d’enfance, ce doit être par suite d’un mouvement irréfléchi, ou par bêtise…. »

Le Père Poutrain va un peu dans le même sens :« J’avais connu ce jeune homme en 1938 ou 1939 alors qu’il se reposait à la clinique de Bonnedonne, je le jugeais comme manquant de bon sens et de jugement….. »

Un autre témoignage, plus subtil : « Michel est coupable, oui ; il a mérité le châtiment, oui. Mais il est moins coupable que certains autres laissés en liberté. On voyait qu’il avait honte de servir les bôches. Il n’a pas fait tout le mal qu’il aurait pu faire. Il aurait pu vendre à la Gestapo tous les gens de Charance et de Chabanas….il ne l’a pas fait »

Un parcours logique ……..jusqu’à son arrestation…..

Léon Michel est né à Orbey dans le Haut Rhin en 1920. Ses parents étaient ouvriers. Il perd son père très jeune et sa mère l’élève seule,  avec  beaucoup de difficultés. Le jeune Léon manquera d’autorité cela ne fait aucun doute. Si l’école ne se passe pas trop mal, il n’en fera par ailleurs qu’à sa tête. Adolescent il apprend la mécanique auto et le garagiste qui le forme,  dira clairement :« il a manqué de la fermeté d’un père pour le dresser ».

Léon désirant gagner plus d’argent part à Lyon et c’est dans cette ville qu’il habite lors de la débâcle de juin 1940. Il est incorporé au camp Bayard près de Gap dans la section auto, puis se retrouve dans un chantier de jeunesse, pour travailler ensuite dans un restaurant à Chabanas dénommé « le Pavillon ». Le 31 janvier 1943, il se marie avec une des serveuses du restaurant.

Finalement il est embauché dans l’entreprise Farçat. Cette entreprise de livraison avait récupéré des camions de l’armée, puissants et rapides, et dans le secteur de Gap, tout le monde savait qu’il s’agissait d’une entreprise « de Résistance et de camouflage ». Du directeur jusqu’au plus petit des employés, tous étaient Résistants.

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Léon Michel entre dans cette entreprise comme chauffeur et mécanicien et participe donc aux activités clandestines. Grâce à eux de faux papiers circulent, l’essence est livrée en des endroits stratégiques (dont plusieurs fois à Champoléon ) , du matériel pour la Résistance passe clandestinement, beaucoup de matériel de l’armée (couvertures, draps, effets militaires, ) sera sauvé…… Bien entendu,  ces camions qui  avaient échappé aux allemands, allaient servir 2 ans plus tard aux combats pour libérer la France……

Léon Michel par ailleurs s’occupent d’un groupe de jeunes gens qui se cachent dans les environs de Charance. Ils ne voulaient pas partir en Allemagne. Soit des juifs recherchés par la Gestapo, soit de jeunes alsaciens qui ne voulaient pas être enrôlés dans l’armée allemande, ou encore des jeunes fuyant la police pour une raison ou une autre…… Il devient donc responsable de ce groupe certainement à travers une demande de l’entreprise Farçat où il travaille. Tous ces jeunes avaient pour refuge un souterrain de 18 m de longueur, creusé dans la montagne au dessus d’un canal, du côté de la Garde. L’entrée était très difficile à repérer, et pour y pénétrer il fallait se glisser à plat ventre. Léon Michel était responsable  du ravitaillement. Mais plusieurs diront plus tard qu’il avait des réactions imprévisibles, sortant parfois son pistolet de façon théâtrale…..Un jour par exemple, le jeune Ziegelman, ami du groupe, proposa de mettre en commun l’argent pour faciliter le ravitaillement. La discussion s’envenima et finalement Léon Michel  sortit son pistolet hargneusement en disant :«Pas besoin de tant d’histoires. Avec ça (il montre son pistolet) on a tout ce que l’on veut….Le groupe refuse complètement  la solution violente». Cette disposition à ne rien respecter annonce ses futurs malheurs….  

Léon Michel était donc au courant de beaucoup de choses concernant la Résistance, soit par l’entreprise Farçat, soit à travers ce groupe de jeunes résistants.

Le 8 septembre 1943 les italiens qui occupaient la région des Alpes sont obligés de partir. Léon Michel participe au pillage du château de Rothschild abandonné par les italiens. Avec M. Leauthier il récupère toutes les armes laissées sur place et les cache.

 Les allemands arrivent donc le 8 septembre 1943 sur le secteur de Gap. Leur attitude est extrêmement sévère….violente. En 3 mois ils sont complètement renseignés sur la Résistance de la région.

Son arrestation le 23 novembre 1943

Alors qu’il était au restaurant « Pavillon », son ancien lieu de travail, il est arrêté en même temps que d’autres jeunes. Etant donné son âge  (23 ans), et sa qualité d’alsacien il était tout désigné pour partir en déportation à Mauthausen. Son travail dans l’entreprise Farçat n’allait pas arranger ses affaires…….

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kommandantur  A son procès, il déclarera qu’ayant eu peur de la torture ou de la déportation, il avait accepté de travailler pour la Gestapo.

Il reprend son travail comme si de rien n’était…..

A la surprise générale il est libéré le 27 novembre 1943. Il revient à Gap et reprend son travail normalement à l’entreprise Farçat. Son patron, qui n’était pas tout à fait en règle, est inquiet. Il va régulariser la situation de Michel Léon et tout se passe très bien……trop bien. Les allemands régularisent et sont bienveillants….trop.

Michel Léon justifie sa rapide libération en montant un scénario de toute pièce.

Un évènement étrange qui éveille des soupçons.

Quelques jours après sa libération, il signale à son patron qu’il sera en retard le lendemain matin car il doit aller à la Préfecture et ensuite à  la Kommandantur. Compte-tenu de ce qui s’était passé le 23 novembre, son patron est inquiet pour lui et se renseigne. Léon Michel n’est pas à la Kommandantur mais à la Gestapo !! Il appelle la Gestapo et un allemand lui répond sans ménagement « Ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde plus ». Tout était clair, Michel était au service de la Gestapo. C’est la consternation sur tout le secteur!!

Va-t-il dénoncer tous les trafics de la Résistance, trahir ses camarades, donner des noms, révéler les dépôts d’armes et d’essence de la région ?

Son attitude va être très ambigüe voire contradictoire. Il ne dira rien sur certaines familles, certains agissements, taira les caches d’armes…… Plusieurs iront jusqu’à dire qu’il n’y avait pas que du mauvais en lui.

Par exemple il va visiter M. Léauthier avec une traction avant noire de la Gestapo et lui confie qu’il va faire arrêter M. Mar…. (immaturité de sa part ou calcul savant ?).  Léauthier lui dit que c’est pure folie et qu’il risquerait à son tour de se faire descendre. Léon Michel écoute le conseil et ne fait pas arrêter M. Mar.

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 Cette photo est tirée d’un hors-série de l’auto-Journal (1990) sur les « 15 Citroën ».

Par contre il fait chanter plusieurs familles juives. Grosse somme d’argent contre silence sur leur présence. Il devient très riche (l’argent ne sera jamais retrouvé) et mène grand train de vie.

Voici un récit (parmi d’autres) qu’en fait Richard Duchambo «  En compagnie du terrible Vallet, il va au domicile de M. Lippmann à Tournefave, qui fait une partie de Bridge avec des amis. Michel vient faire du chantage. Il reste à la porte de la maison. Vallet monte au premier étage, ouvre et se présente brusquement, révolver au poing, en criant « Police allemande » Vérification rapide des pièces d’identité. Les amis de M. Lippmann sont priés de se tenir tranquilles et surtout de se taire, s’ils ne veulent pas aller faire la connaissance de la villa Mayoli, lieu de torture à Gap. Ce que veulent les deux compères c’est surtout de l’argent et M. Lippmann s’en tire cette fois pour dix mille francs……. »

     gestapo milice Beaucoup croient que Léon Michel n’est que le chauffeur de la Gestapo. En réalité il commet de nombreuses exactions souvent pour son compte ! Son ancien directeur, M. Dupont, sera arrêté et déporté, alors que, non seulement il lui avait donné du travail, mais avait aidé sa femme en difficulté. Michel, finalement, dévoilera où se trouve certains dépôts d’essence avec arrestations des propriétaires. C’est ainsi qu’il fait arrêter M. Thiers, ingénieur des Ponts et Chaussées, en indiquant un dépôt d’essence……..Il participera activement   aux tortures de la villa Mayoli. Je passe…. 

La libération de Gap a lieu le 20 Août 1944.

 Au moment de la libération, une lettre de Léon Michel adressée à Nutgens, responsable de la Gestapo, est retrouvée. Elle pèsera lourd dans les débats. La voici :

« Cher Monsieur Nutgens,

Je me permets de vous envoyer ce petit mot, car je suis parti de Gap depuis une dizaine de jours; je n’ai malheureusement pas pu vous joindre avant mon départ. Je n’ai pas perdu mon temps et quand le gros rhume que j’ai sera passé, je monterai aussitôt vous voir et vous serez, je pense, satisfait de moi.

J’en profite pour vous présenter, cher M. Nutgens, mes voeux les plus sincères pour 1944.

Respectueuses salutations. » Cette lettre doit être datée de fin 1943. 

 

Arrestation de Léon Michel par les Français.

 

Cette arrestation, réalisée par les maquisards, sera rocambolesque. Le récit qu’en fait  Duchambo s’étend sur plusieurs pages.  Je ne vous en restitue qu’une petite partie.

Vallet (un des comparses de Michel) vient d’être arrêté. On l’oblige à faire le tour de la ville de Gap les menottes aux mains, torse ensanglanté, sous les huées d’une foule excitée. Viennent ensuite toutes les femmes qui copinaient avec la Gestapo….. Brunet avait trouvé une fin sans gloire sur le chemin de Romette. Mais Grasset et Michel demeurés introuvables.

Première tentative.

Les choses ne vont pas tarder. Un fermier de Charance, M. Léauthier, signale à la Police de Gap que Léon Michel est venu chercher chez lui de bon matin de la nourriture pour lui et sa femme. Il doit repasser dans la soirée. Tous les deux se connaissaient très bien depuis 1942……Les maquisards préparent un guet-apens autour de la ferme de M. Léauthier. L’attente est longue, le jour est tombant. Finalement Michel apparaît mais semble se méfier : a-t-il vu quelque chose de suspect ? L’assaut est donné mais compte tenu de la nuit, Michel échappe à tout le monde. Seule sa femme est arrêtée. La Police redescend à Gap bredouille . Mme Michel  pleure tellement qu’elle est ininterrogeable.

Deuxième tentative.

Vers les 23 heures, un italien de Bellevue denommé Giordano arrive en toute hâte à la Police en criant cette phrase apte à réveiller tout le monde « Michel s’est endormi dans ma cave…..il est chez moi ». En réalité, Michel, sous la menace d’un révolver, était entré quelques heures plus tôt chez les Giordano, avait demandé de quoi manger puis harassé de fatigue avait demandé qu’on le cache pour dormir.

Cette fois-ci la Police arrive rapidement. Michel est arrêté sans difficulté et a même du mal à se réveiller.

 

Du procès à son exécution

 A la libération, Vallet avait été exécuté très rapidement, sans procès. Pour Léon Michel, arrêté quelques jours plus tard,  des tribunaux ont pu être mis en place : ils sont moins expéditifs, plus respectueux des procédures habituelles. Michel sera condamné à mort le 3 mai 1945 « pour avoir pris part aux exactions des nazis : arrestations, pillages, incendies, tortures ».

 

Le 7 juin 1945, son pourvoi est rejeté, Michel est réveillé de bonne heure, accepte de rencontrer l’aumonier des condamnés. Ce prêtre l’accompagnera jusqu’à son lieu d’exécution, au bord de la Luye.

Personne en ville  n’a été prévenu de cette exécution pour éviter des curiosités malsaines. Un mat est planté au milieu de l’esplanade, avec une inscription rappelant les crimes de l’année précédente. Juste à côté, un poteau est en place. Michel s’y dirige de lui-même. Un jeune FFI (un certain Gallice, jeune lieutenant du 159eme RIA, ancien de Champoléon, ami du lieutenant Vollaire) lui demande « Faut-il te bander les yeux ? »  Il répond  « Comme vous voudrez, ça m’est indifférent maintenant. »

Quelques instants plus tard Michel Léon était exécuté.

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